10. srpna 2013

Stendhalův dopis

Lettre à Félix Faure

Smolensk, à quatre-vingts lieues de Moscou,

24 août 1812.

J'ai reçu ta lettre en douze jours, quoiqu'elle ait fait huit cents lieues, comme tout ce qui nous arrive de Paris. Tu es bien heureux et j'en suis content. Je n'ai plus d'idée de ce mien conseil que tu trouves bon. Serait-ce celui de commencer de bonne heure à travailler à l'édition de Montesquieu et de marier l'idée de cet ouvrage à celle de ton bonheur ?

Le mien n'est pas grand d'être ici. Comme l'homme change ! Cette soif de voir que j'avais autrefois s'est tout à fait éteinte depuis que j'ai vu Milan et l'Italie, tout ce que je vois me rebute par la grossièreté. Croirais-tu que, sans rien qui me touche plus qu'un autre, sans rien de personnel, je suis quelquefois sur le point de verser des larmes ? Dans cet océan de barbarie, pas un son qui réponde à mon âme ! Tout est grossier, sale, puant au physique et au moral. Je n'ai eu un peu de plaisir qu'en me faisant faire de la musique sur un petit piano discord, par un être qui sent la musique comme moi la messe. L'ambition ne fait plus rien sur moi le plus beau cordon ne me semblerait pas un dédommagement de la boue où je suis enfoncé. Je me figure les hauteurs que mon âme (composant des ouvrages, entendant Cimarosa et aimant Angela, sous un beau climat) que mon âme habite, comme des collines délicieuses loin de ces collines, dans la plaine, sont des marais fétides j'y suis plongé et rien au monde, que la vue d'une carte géographique, ne me rappelle mes collines.

Croirais-tu que j'ai un vif plaisir à faire des affaires officielles qui ont rapport à l'Italie ? J'en ai eu trois ou quatre, qui, même finies, ont occupé mon imagination comme un roman.

J'ai éprouvé une contrariété de détail dans le pays de Wilna, à Boyardowiscoma (près de Krasnoïé), où j'ai rejoint quand ce pays n'était pas encore organisé. J'ai eu des peines physiques extrêmes. Pour arriver, j'ai laissé ma calèche derrière, et cette calèche ne me rejoint point. Il est possible qu'elle ait été pillée. Pour moi, personnellement, ce ne serait qu'un demimalheur, 4.000 fr. environ d'effets perdus et l'incommodité, mais je portais des effets à tout le monde. Quel sot compliment à faire aux gens !

Ceci, cependant, n'influe pas sur la manière d'être que je t'ai exposée. Je vieillis. Il dépend de moi d'être plus actif qu'aucune des personnes qui sont dans le bureau où j'écris, l'oreille assiégée par des platitudes, mais je n'y trouve nul plaisir. Où est le bureau de Brunswick ou celui de Vienne ? Tout cela tend furieusement à me faire demander la sous-préfecture de Rome. Je n'hésiterais pas si j'étais sûr de mourir à quarante ans. Cela pèche contre le beylisme. C'est une suite de l'exécrable éducation morale que nous avons reçue. Nous sommes des orangers venus, par la force de leur germe, au milieu d'un étang de glace, en Islande.

Ecris-moi plus longuement j'ai trouvé ta lettre bien courte pour huit cents lieues. Engage Angela à m'écrire. Je n'aime pas plus Paris qu'à Paris je suis blasé pour cette ville comme toi, je crois mais j'aime les sensations que Painting and Opera-Buffa m'y ont données pendant six mois.

Adieu, je crois qu'on part.

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